24 mars 2024
Après avoir raconté son histoire familiale et la violence du monde agricole dans
Au nom de la terre, Edouard Bergeon revient avec son deuxième long métrage, La
Promesse Verte, un thriller écologique où l’on suit le parcours de Carole
(Alexandra Lamy) pour sauver son fils Martin (Félix Moati) injustement
condamné à mort en Indonésie. Pour cela, elle se lance dans un combat, inégal,
contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et les
puissants lobbies industriels. Le réalisateur et le comédien évoquent cette
aventure peu commune.
Comment est né le projet de La Promesse Verte ?
E.B : L’idée m’est venue par une manifestation d’agriculteurs devant une raffinerie Total.
Ils étaient mécontents car, après avoir été encouragés à cultiver du colza pour faire du
biodester comme mon père il y a 30 ans, ils ont appris que de l’huile de palme allait être
importé de Malaisie et d’Indonésie à prix défiant toute concurrence. En somme, ce film
raconte pourquoi les agriculteurs sont en colère aujourd’hui. Ils nous disent de ne pas
importer du monde des produits traités par des sociétés qui ne respectent pas les
normes sociales et environnementales. En cela, je m’inscris dans le sillon de Au nom de
la terre. Après, il a fallu développer des personnages autour du combat d’une maman
mettant tout en œuvre pour sauver son fils emprisonné à l’autre bout du monde.
Vous-êtes vous appuyé sur des faits authentiques ?
E.B : Même s’il s’agit d’une fiction et que je ne me suis pas inspiré d’une histoire vraie, je
me suis beaucoup documenté sur les activistes pouvant connaître des destins similaires
à celui du personnage de Martin. Mon passé de journaliste m’amène à privilégier une
certaine crédibilité. J’aime le cinéma du réel, mais avec de l’émotion.
Si Au nom de la terre était une chronique familiale, agricole et sociale, vous vous
frottez clairement ici à l’exercice du thriller. C’était votre intention ?
E.B : Je ne m’étais pas rendu compte d’une telle dimension thriller avant le montage.
Même si il y avait déjà une certaine tension que l’on ressentait à la lecture et lors du
tournage mais on l’a accentué davantage en postproduction, notamment par la musique
qui nous happe et nous met en apnée durant tout le film, avec une inquiétude diffuse sur
comment les personnages vont s’en sortir. On suit cette maman dans les méandres du
lobbying de la diplomatie, confrontée à des impasses qui nous font craindre pour sa vie
et celle de son fils. C’est un éco-thriller.
Le film fonctionne sur le duo et l’alchimie entre Alexandra Lamy et Félix Moati.
Étaient-ils vos premiers et seuls choix ?
E.B : Je pensais à Alexandra depuis longtemps car c’est une actrice populaire au sens
noble du terme, comme le cinéma auquel j’aspire. Elle a accepté de ne pas se maquiller,
d’être dans la vie et de porter le film comme elle le porte. Ce n’est pas rien pour une
comédienne de s’afficher épuisée et éprouvée comme elle l’a fait. Pour le personnage de
Martin, j’avais engagé un premier comédien qui s’est désisté suite à un souci de
planning. Je n’ai pas eu le temps de lancer un nouveau casting qu’un beau matin, alors
que j’étais dans le bureau de mon producteur Christophe Rossignon chez Nord Ouest, j’ai
vu entrer Félix dans la pièce alors qu’il écrivait son prochain long métrage. J’ai tout de
suite su qu’il était le personnage et il s’est montré très enthousiaste par la promesse
(verte) de cette aventure.
Félix, en quoi cette histoire résonne t-elle en vous ?
F.M : La thématique écologique est aujourd’hui incontournable. Pour ma part, cela s’est
intensifié après ce tournage, notamment suite à mes échanges avec Camille Etienne, une
activiste qui éveille les consciences en tenant un discours précis et pédagogue. Selon
elle, un activiste écologiste se fait tuer tous les deux jours dans le monde. Il est
passionnant de constater l’interconnexion du monde et de constater à quel point ce qui
se passe à l’autre bout de la planète peut avoir des répercussions chez nous, dans notre
assiette.
Votre personnage endure un parcours éprouvant. En a t-il été de même pour le
tournage ?
F.M : Je me suis imprégné de l’environnement dans lequel j’évoluais, les décors
étouffants de la prison, la moiteur et la chaleur de la Thaïlande. Quand on tourne sur une
barque naviguant sur un fleuve, on ressent un sentiment de sérénité et de plénitude que
l’on n’éprouve jamais dans une grande ville comme Paris. Martin n’a pas peur des
environnements qui lui sont étrangers. Au contraire, il va même chercher cela. On a
souvent l’habitude de dire que ma génération est désabusée alors qu’il y a tant de jeunes
très politisés, qui tiennent un discours fort sur le monde et qui s’engagent.
Edouard, souhaitiez vous également réaliser un portrait de femme avec le
personnage d’Alexandra qui lutte envers et contre tout pour sauver son enfant ?
E.B : J’ai précédemment réalisé un documentaire intitulé Femmes de la Terre où je
rendais hommage à ma mère agricultrice mais aussi à ma grand-mère, à mon arrière
grand-mère et à toutes les femmes agricultrices. Là aussi, je leur rend hommage après
avoir honoré mon père dans Au nom de la terre. Je raconte une combattante comme ma
mère. Et il y a aussi un peu de moi dans le personnage de Martin avec ma trajectoire de
documentariste. Je raconte une héroïne du quotidien, qui ressemble au spectateur. Elle
ne se rend pas compte de ce à quoi elle se heurte. C’est David contre Goliath. Elle fait ce
qu’elle peut avec ce qu’elle a, c’est à dire sa ténacité, son amour maternel, son courage.
Donc tout le monde peut s’identifier à ces différents éléments. L’amour maternel n’a pas
de frontière. On peut entrer dans ce film à plein d’endroits, que ce soit la question de la
déforestation, de l’exploitation d’huile de palme, de la peine de mort, et bien sûr de la
famille.
Vous qui venez du documentaire, en quoi votre travail diffère t-il lorsque vous
mettez en scène une fiction ?
E.B : On raconte toujours une histoire, que ce soit dans le documentaire ou dans la
fiction. Mais ce ne sont ni les mêmes temps ni les mêmes moyens financiers et matériels.
Pour une fiction on cherche des décors, des acteurs, alors qu’on se contente de filmer le
réel pour un documentaire. Mais je pratique ces deux exercices avec la même ambition
et en m’entourant d’équipes passionnées. Ici, à l’instar d’Au nom de la terre, je tenais à
tourner en format Scope afin de capter et magnifier les paysages tant j’ai été nourri par
les westerns que me montrait mon père lorsque j’étais enfant. J’ai également eu recours
à de longues focales afin de rester au plus près des personnages et entrer dans leur
intériorité.
Propos recueillis par Nicolas Colle