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Secrets et visions de Hildegarde de Bingen : quand la nature devient thérapie


01 juillet 2025

À l’occasion du festival de la correspondance de Grignan, Pascale Fautrier a participé à une rencontre autour de son livre Hildegarde Bingen, un secret de naissance (Albin Michel), elle y révèle comment cette abbesse bénédictine allemande (1098–1179) interroge encore aujourd’hui notre rapport au sacré, à la nature et au soin. « Dès l’âge de trois ans, elle voit la “lumière vivante” », souligne Pascale Fautrier, qui replace Hildegarde de Bingen dans le contexte politique et spirituel de son temps.

Un « secret de naissance » révélateur

Pascale Fautrier s’appuie sur l’enquête littéraire de Franz Staab, et les travaux de Johannes Trithemius pour contester l’origine dans un milieu modeste à Bermersheim. Il avance l’abbaye impériale de Göllheim comme véritable lieu de naissance : « Ce retour aux sources change notre vision de son origine sociale, fondée dans une aristocratie puissante » (Pascale Fautrier).

La voix et les visions

Hildegarde dicte ses œuvres—autobiographie, correspondances et Scivias—à Volmar, son prieur (†1173), dans un latin orné destiné à un public lettré. « Elle explique ses visions dans un détail saisissant », rappelle l’historienne, insistant sur la portée publique et politique de ces écrits, auparavant lus en assemblées monastiques.

Corps, nature et thérapie

Anticipant l’écologie et la médecine préventive, Hildegarde glorifie la viriditas—énergie divine présente dans les plantes, la chair et la musique. Son traité de Physica inspire aujourd’hui tisanes et remèdes naturels : « Il y a un besoin fondamental de soins avant la maladie », note Pascale Fautrier, qui souligne l’actualité de cette médecine monastique.

Adaptation cinématographique : Vision (2009)

En 2009, la réalisatrice Margarethe von Trotta transpose la vie de Hildegarde à l’écran dans Vision – Sur la vie de Hildegarde de Bingen. Barbara Sukowa incarne avec profondeur la moniale mystique, tandis que Heino Ferch prête ses traits à Volmar. Le film, coproduction franco-allemande, s’attache à restituer ses visions et son engagement spirituel dans le cadre tumultueux du XIIᵉ siècle.

La mise en scène privilégie des décors naturels et une photographie soignée pour évoquer la viriditas chère à Hildegarde. Barbara Sukowa, déjà célèbre pour son rôle dans Rosa Luxembourg, incarne une femme à la fois fragile et incontestablement puissante, tandis que la relation tutélaire avec Volmar devient le fil conducteur émotionnel du récit.

Sorti au festival de Cannes en mai 2009, Vision a séduit la critique pour sa fidélité historique et la prestation lumineuse de Barbara Sukowa. Plusieurs festivals européens lui ont décerné des prix de la meilleure actrice et de la meilleure direction artistique, soulignant la pertinence de ce portrait d’une figure encore mal connue du grand public.


Extraits de la rencontre:

Le « secret de naissance »

« Le titre évoque un secret : s’agit-il de son lieu de naissance ? » questionne Pascale Schouwey. Pascale Fautrier retrace le débat historien :

« Johannes Trithemius, fin XVe siècle, situait sa naissance à Göllheim, forteresse impériale. Plus tard, Mariana Schrader, dans les années 1940, a minoré son origine sociale en la faisant naître à Bermersheim. J’opte pour un retour aux affirmations de Trithemius : restituer son ancrage aristocratique éclaire sa vocation précoce. »


Une plume dictée, un latin fleuri

Hildegarde n'a pas écrit elle-même ses textes ; elle « dicte » à Volmar, son prieur, et aux scribes :

« Nous ne savons pas si elle parlait plutôt allemand ou latin, mais ses lettres conjuguent rhétorique gréco-latine et formules courtoises : “Par la Sublimité du Père qui en sa douce virilité”… »
Cette langue exigeante affirme publiquement sa puissance intellectuelle ; ses correspondances circulaient dans tout le Saint-Empire, lues en assemblées, et portaient force de décision.


Les visions et Scivias

Dès l’âge de trois ou quatre ans, Hildegarde perçoit la lumière vivante, selon ses propres mots. Pascale Fautrier souligne :

« Son Scivias est une “trilogie des tempêtes visionnaires” où elle détaille chaque image divine. C’est un texte conçu pour être vu et entendu. »


Corps, nature et viriditas

Au cœur de sa spiritualité, la viriditas est un principe énergétique divin :

« La viriditas, c’est la sève verte des plantes, la chair humaine, le son lui-même ; tout être vivant en est animé. »
Dans sa Physica, elle compile des remèdes à base de plantes : « Une médecine préventive, entièrement tournée vers le soin avant la maladie », note Pascale Fautrier.

Héritage et réception

Hildegarde n’était pas une recluse ignorée : fille du comte de Sponheim, elle prêchait publiquement, négociait entre pape et empereur, et ses textes furent reconnus au concile de Trèves (1147). Pourtant la postérité retiendra surtout ses visions, inspirant le mouvement New Age via Joachim de Flore, et—50 ans après sa mort—sa théologie fut jugée sulfureuse. Canonisée par Benoît XVI en 2012, elle est une des quatre femmes docteurs de l’Église catholique. (Hildegarde de Bingen. Catherine de Sienne. Thérèse d'Avila. Thérèse de Lisieux.)