
Invités du Festival de la Correspondance de Grignan, Brigitte Fossey et Claude Aufaure explorent l’intimité de l’abbesse médiévale Hildegarde de Bingen à travers sa correspondance. Avec « Une plume sur le souffle de Dieu », ils interprètent la force visionnaire et la modernité étonnante de cette figure du XIIᵉ siècle, pour un voyage aussi érudit que poignant, une mise en scène de Stéphanie Tesson.
Une amitié de longue date
Amis depuis près de 60 ans, Brigitte Fossey et Claude Aufaure se retrouvent enfin sur scène. « Je suis très fier de la connaître depuis 1968 », confie Claude Aufaure, rappelant leurs débuts communs au Théâtre de Poche, entourés de Paul Crauchet ou encore Jean-François Adam. Brigitte Fossey ajoute : « Claude était déjà notre “bon ange” : attentif, discret, veillant sur chaque distribution. » Cette fidélité résonne aujourd’hui dans leur complicité, palpable dès le premier regard et, la première réplique.
Festival de la Correspondance : un écrin unique
Depuis 25 ans, le village de Grignan résonne aux échos des mots. Installé face à la plaine de la Drôme provençale et ses lavandes, le festival invite chaque été à redécouvrir la correspondance des grandes figures littéraires. « Lire ces lettres, c’est pénétrer dans l’intimité de l’âme », note Brigitte Fossey. Cette année, la thématique « Quête du sens et du sacré » trouve en Hildegarde de Bingen son écrin idéal, entre vestiges romans et oliveraies centenaires.
Hildegarde de Bingen : visionnaire et polymathe
Née en 1098 en Hesse rhénane, Hildegarde est confiée, à huit ans, au monastère de Disibodenberg comme oblate. « Elle se disait “à peine lettrée”, pourtant elle a produit plus de trente-cinq ouvrages », rappelle Stéphanie Tesson, la metteuse en scène. Abbesse, compositrice, mystique, botaniste, ses 300 lettres dévoilent une autorité insoupçonnée, imposant son avis aux empereurs et aux papes.
Science et mysticisme
Hildegarde mêle savamment médecine, botanique et spiritualité : potions à base de plantes, observations sur la digestion, conseils alimentaires toujours actuels. « On lui doit les prémices de l’homéopathie et une réflexion fine sur la nutrition », souligne Claude Aufaure. Mais ses visions sont tout aussi marquantes : depuis l’enfance, elle pressent ce qu’elle nomme la “lumière vivante”, un souffle divin qui guide l’âme et le corps.
Une mise en scène en quatre mains
Adaptée par Beverly Charpentier et dirigée par Stéphanie Tesson, la lecture-spectacle a fait alterner extraits de lettres et analyses naturalistes. Brigitte Fossey et Claude Aufaure incarnent tour à tour Hildegarde et ses correspondants, pour créer un dialogue vivant entre passé et présent. Les éclairages devant la façade du chateau de Grignan ont joué sur l’ombre et la couleur, évoquant les manuscrits enluminés de l’époque.
Hildegarde de Bingen érigait ses visions en preuves irréfutables de la volonté céleste, utilisant ce qu’on pourrait qualifier de « miraculeux subterfuges" pour déjouer la vigilance de son ordre et plier à sa volonté supérieurs et souverains. Sous couvert de révélations mystiques, elle apposait en coulisses le sceau du sacré sur des desseins très terrestres, transformant la croyance de ses interlocuteurs en levier de pouvoir – un vrai tour de passe-passe spirituel.
Trois cents ans plus tard, une jeune bergère reprendra le même artifice : elle déploiera un argumentaire divinatoire pour galvaniser une armée, donnant à ses exhortations le prestige de l’ordinaire miraculeux. Ses voix, qu’elle présentait comme l’écho même de la volonté de Dieu, jouaient le rôle d’un faux-semblant providentiel, un subterfuge destiné à remporter la guerre de cent ans par la seule force de la conviction religieuse.
Patrice Caillet, la radio du cinéma
Spectacle : Une plume sur le souffle de Dieu
Texte : Lettres d’Hildegarde de Bingen
Avec : Brigitte Fossey et Claude Aufaure
Mise en scène : Stéphanie Tesson
Adaptation : Beverly Charpentier
Lieu : Festival de la Correspondance, Grignan (site officiel)