#cannes2023 "The Zone of Interest" : la banalité du mal

20 mai 2023
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Laura et Jérémie sortent choqués de la séance de "The Zone of Interest", jamais l'holocaust n'a été filmé comme ça, ou, comment filmer l'horreur en filmant ce qui se passe à coté...

le nouveau film de Jonathan Glazer débute par une scène de pique-nique paisible au bord d'un lac. Lentement, nous réalisons que Rudolf, l'un des personnages, porte l'uniforme SS. Des détails perturbants émergent progressivement, tels que les murs entourant leur maison, surmontés de barbelés, ou les bruits lointains de coups de feu et de cris. Cette vie en apparence idyllique se déroule tout à coté d'Auschwitz, chez le directeur du camp...

PHOTO:  Sandra Huller

La chronique de Laura 

Si les nazis d'Indiana Jones m'ont fait ricaner le matin même, ceux de The Zone of Interest m'ont, eux, glacé le sang. Deux salles, deux ambiances. Le commandant d'Auschwitz vit avec sa femme et ses enfants dans une maison avec jardin, mitoyenne du camp. Dans cette bulle qu'ils se construisent, ils ne se donnent même pas la peine de nier la réalité atroce dont ils sont architectes, l'exploitant paisiblement. Autour du thé, on se répartit les petites robes des juives, et l'on discute des jolies fleurs qui poussent dans le jardin. Il est absolument captivant de regarder ces gens vivre comme s'ils ne voyaient pas la fumée des cheminées embrasant leurs nuits ou n'entendaient pas les cris et les coups résonnant à chaque instant. Dans ce monde où "heil Hitler" remplace "cordialement" dans les courriers, où l'on a plus d'empathie pour les arbres du camp que pour les humains que l'on y extermine, il est stupéfiant de constater que les préoccupations domestiques de ce couple ressemblent tant aux nôtres. Un cadre froid et des plans larges capturent ces scènes effarantes ; cette distance salvatrice témoigne d'une décence de ne pas aller chercher les visages des personnages dont on voudrait oublier qu'ils sont eux aussi humains. Ce film passif agressif, d'une violence sonore inouïe, est bien difficile à aimer, car comment "apprécier" ce que l'on y voit ? On ne peut cependant pas nier que cette œuvre implacable frappe un grand coup, imposant une réflexion sur l'horreur à laquelle nous sommes encore aujourd'hui confrontés et nos mécanismes de défense pour la supporter. Jusqu'au point de vriller et la laisser gagner la partie ?