
Philippe Rebbot n’est pas un acteur comme les autres. D’ailleurs, il ne se considère pas comme un acteur tout court. « Je suis acteur par hasard », dit-il, presque comme une excuse, avec ce mélange de pudeur, d’humour et de sincérité désarmante qui le caractérise. Rencontre avec un homme qui joue sans prétention, aime profondément ses pairs, et pour qui le cinéma est, plus qu’un métier, un refuge et une boussole.
« Macadam Cowboy » en boucle dans la tête d’un enfant
Premier souvenir de cinéma ? Philippe Rebbot déjoue les attentes. Ce n’est pas un écran noir dans une salle obscure, mais une bande sonore, celle de Macadam Cowboy écoutée en boucle sur d’antiques cartouches audio au Maroc, où il grandit. À l’époque, le petit Philippe imagine un western, se rejoue des scènes dans sa tête, meurt dans les bras d’une maîtresse d’école fantasmée… Jusqu’à ce qu’il découvre, adolescent, le véritable film de John Schlesinger : un choc, évidemment. « Rien à voir avec ce que j'avais imaginé, mais c’est un film qui me colle à la peau », confie-t-il.
Patrick Dewaere comme étoile polaire
S’il s’est retrouvé devant la caméra sans l’avoir prémédité, Philippe Rebbot s’est rapidement trouvé un guide : Patrick Dewaere. « Quand je ne sais pas comment jouer une scène, je me demande toujours : comment lui l’aurait jouée ? » dit-il, sans détour. Il ajoute en riant : « Je suis juste un imitateur de Patrick Dewaere, mais comme je suis un mauvais imitateur, personne ne s’en rend compte. » Chez les Américains, il revendique un goût pour les acteurs aux fêlures visibles : Nicolas Cage, entre autres, qu’il voit comme un Dewaere d’outre-Atlantique.
Le cinéma par la régie, la régie par les sandwichs
Philippe Rebbot n’a pas pris l’ascenseur, mais les escaliers de service. Il a commencé en régie, à faire des sandwichs pour les équipes de tournage. Quinze années dans l’ombre, à apprendre les plateaux de l’intérieur, avant qu’un rôle de barman dans L’Ennui de Cédric Kahn ne vienne bouleverser sa trajectoire. Le remplaçant d’un acteur absent devient, contre toute attente, un visage du cinéma français. « Les rôles se sont enchaînés… Enfin, doucement, hein. Je bosse pas tant que ça », dit-il avec l’humilité non feinte de celui qui a souvent dit bonjour et au revoir dans les films.
Woody Allen, lunettes et révélation existentielle
Le cinéma n’a pas seulement donné un métier à Philippe Rebbot. Il lui a aussi offert une image de lui-même. En découvrant Woody Allen, l’enfant complexé, le « petit gros à lunettes », comprend qu’on peut être drôle, touchant, aimable – et même séduisant – sans correspondre aux canons héroïques. « Il m’a sauvé la vie », dit-il simplement, évoquant Bananas et d'autres films comme des bouées jetées dans son adolescence.
À bicyclette, un film comme thérapie partagée
Philippe Rebbot est à l’affiche d’À bicyclette, un road movie né d’un drame : le suicide du fils de son ami Mathias Mlekuz. D’abord conçu comme un geste d’amitié, un hommage, le film est devenu bien plus. Une expérience de deuil partagé, un atelier de réparation intime, un cinéma au sens le plus humain du terme. « Ce n’est pas le film qui a consolé Mathias », précise-t-il, « c’est ce que le public nous renvoie qui est bouleversant. »
Les spectateurs parlent de leurs propres fragilités, trouvent dans le film un écho, une douceur. « Ce qui fait mal quand quelqu’un meurt, c’est que l’air se referme sur son absence. Là, l’air ne s’est pas refermé sur Yuri. Il y a 500 000 personnes qui sont reparties avec un bout de lui. »
Un vrai ami, au bon moment
Au fil de cette aventure, Philippe Rebbot a aussi découvert quelque chose de lui-même. « Pour la première fois, j’ai été un véritable ami. » Un engagement sans grandiloquence, mais total, au bon moment. Et ça, pour lui, c’est « la classe ».
Et maintenant ?
Et la suite ? « Que mes enfants aillent bien, que ceux que j’aime aillent bien. Que le monde arrête de tourner dans le mauvais sens. Que les mabouls lâchent le manche. » Et toujours cette phrase comme un mantra et en réponse à Claude Lelouch : « La vie, c’est mieux que le cinéma. Faut juste qu’elle soit aidée par le cinéma. »
Philippe Rebbot, c’est une âme discrète et magnifique, une voix bancale qui touche juste, un artisan du jeu qui n’a jamais vraiment cherché à jouer. Il est de ceux qu’on ne voit pas forcément venir, mais qui laissent une trace. Une belle trace.
Une interview de Manuel Houssais dans le cadre du FCEM | Festival du Cinéma Européen de Meyzieu